Programme 2013 : Pistes pour une leçon

> Mme de Sévigné - Lettres de l'année 1671

"Lire"

Pistes pour une leçon

 

Définir

Lire, c’est

-    prendre connaissance d’un texte écrit,

-    déchiffrer des signes graphiques afin d’en comprendre le sens

-    dire à haute voix le contenu d’un texte qu’on lit

-    interpréter, deviner les sentiments et les pensées.

 

La marquise, plusieurs fois par semaine, prend connaissance des lettres qu’elle reçoit, c’est une lecture silencieuse, intime mais les Lettres de 1671 témoignent aussi de l’existence d’une lecture à haute voix : la marquise est persuadée que si elle lisait à haute voix les fables de La Fontaine à sa fille, celle-ci les apprécierait (p. 208). Aux Rochers, les séances de lectures sont aussi à haute voix puisque communes « Mon fils nous lit des bagatelles, des comédies, qu’il joue comme Molière, des vers, des romans, des histoires » (p. 219). Lire est ici prolongé par une véritable interprétation d’acteur. Lire est aussi tout simplement déchiffrer des signes graphiques, travail complexe, bien en amont d’une quelconque interprétation quand il s’agit de D’Hacqueville « Ecrivez un peu mieux ; j’ai peine à lire vos lettres et j’en meurs d’envie » (p. 215), « La petite Saint-Géran m’écrit des pieds de mouche que je ne saurais lire « (p. 245) , mais aussi reconnaissance heureuse de signes tracés par la main de Mme de Grignan (Lettre du 29/11).

 

Questions préalables

-  Que lit-on dans les Lettres de 1671 ?

On lit des lettres bien entendu, la marquise lit des lettres de sa fille, de ses cousins Coulanges et Bussy-Rabutin, et d’autres correspondants. Ces lettres nous ne les connaissons pas, à l’exception des lettres de Bussy du 23/12, 1/12 et 23/2. Avec Bussy, nous avons trace d’un véritable échange. Sa lettre du 1er février montre comment lui, a lu la lettre que Mme de Sévigné lui a envoyé le 23/1.

On lit des lettres adressées à soi mais aussi à d’autres que soi : Mme de Sévigné lit les lettres que Mme de Grignan envoie à son frère Charles (cf. p. 203), elle lit aussi la correspondance amoureuse de Charles « Il me montra des lettres qu’il a retirées de cette comédienne » (p 154). Entre autres exemples : « Je fais mon paquet chez Mme de La Fayette, à qui j’ai donné votre lettre. Nous l’avons lue ensemble avec plaisir » (p. 155)

On lit aussi des œuvres littéraires et des vers, chansons composés par les familiers de la marquise. La lecture est une activité constante dans ce milieu où tous semblent cultiver plus ou moins un talent d’écriture. Mme de Sévigné, Mme de La Fayette, La Rochefoucauld, Bussy sont à nos yeux des écrivains mais Melle de Grignan s’est elle aussi amusée à écrire. « J’ai retrouvé ici le dialogue que vous fîtes un jour avec Pomenars » (p. 223), « Nous avons trouvé… esprits » (p. 302) Cette pratique de la lecture est le corollaire d’une pratique de l’écriture comme divertissement mondain et cultivé.

Les ouvrages lus par la marquise sont très éclectiques.  Le Tasse (en italien), Tacite, mais surtout deux livres qui occupent tout son été, Les Essais de morale de Nicole et Cléopâtre de La Calprenède. Rien de plus différent que ces deux ouvrages-là. D’un côté un livre doctrinal, dont la marquise parle très souvent, dont la lecture est qualifiée d’ «admirable » et « délicieuse » mais qu’elle semble cependant avoir du mal à commencer et qui n’est pas sans faire naître en elle une certaine inquiétude. Cette lecture est en lien avec un idéal visé « se faire dévote » mais la marquise ne parvient pas à la conversion voulue. A l’opposé des Essais de morale, le roman de La Calprenède est une lecture folle et honteuse, un « plaisir régressif ». Alors que l’ouvrage de Nicole est pleinement actuel,  Cléopâtre témoigne d’un « romanesque démodé et méprisé » en 1671, mais on y est entraîné malgré soi.[i]

Mme de Sévigné souhaite que sa fille partage ses goûts littéraires. Lire la même chose et apprécier les mêmes livres est une façon de se rapprocher, d’afficher une identité commune.  « Vos lectures sont bonnes » dit-elle dans la lettre du 28 juin. Mais si les deux femmes sont également choquées par l’expression de Nicole « l’enflure du cœur » (p. 284) , elles sont parfois en désaccord. On comprend que Mme de Grignan manifeste un intérêt traînant quand il s’agit de lire Tacite et tient La Fontaine pour peu de choses (pp. 182 et 208)

 

-  Pourquoi lit-on ?

On lit parce que l’on est séparé de ses proches, exilés ou simplement partis en Province. On lit parce que l’on est dans une semi-retraite. Bref, lire est une activité liée à la solitude. Et aussi parce qu’on appartient à un monde de culture où tout le monde écrit et lit.

 

-  Quels sont les effets produits par la lecture, l’impact émotionnel de la Lecture ?

Les lettres de Mme de Grignan produisent à chaque fois une forte émotion chez la marquise. « Je fonds en larmes en les lisant » (p. 57)  « Il faut bien que je pleure en lisant vos lettres » (p. 68) Très souvent d’ailleurs les lettres commencent par une description de l’état dans lequel une lettre de Mme de Grignan a plongé la marquise.  L’acte de lecture est donc vivement commenté : on nous dit dans quel état d’esprit s’est faite la lecture : pleurs, euphorie, parfois plus simplement plaisir et amusement. Ces réactions si vives ne sont pas dépourvues d’une certaine théâtralité. Pour la marquise, lire une lettre de Provence est une véritable renaissance en même temps  qu’un épanchement de larmes « Enfin, ma bonne, je respire à mon aise… [vos lettres] sont nécessaires à ma vie ».

 

-  Comment lit-on ?

Il y a plusieurs façons de lire les lettres, en particulier celles de Mme de Grignan, une lecture émotionnelle, très attentive, presque scrutatrice car Mme de Sévigné cherche dans les lettres de sa fille des preuves de l’affection de cette dernière. Car Mme de Grignan dit par écrit des choses qu’elle ne formule pas à l’oral.  Lire ses lettres permet donc de lire dans le fond de son cœur « Vous aimez mieux m’écrire vos sentiments que vous n’aimez à me les dire » (p. 58) On pourrait dire que lire relie. Par ailleurs, Mme de Sévigné lit les lettres de Provence en en faisant une appréciation stylistique et les trouvent « si bien écrites », « si tendres et si naturelles », elle loue leur « caractère de vérité ». Elle lit en critique littéraire.

Pour bien lire, il faut être dans des conditions propices, être « au calme ». Cela participe à cette mise en scène larmoyante qui fait de l’arrivée et de la lecture de la lettre un événement fortement émotionnel auquel il faut se dédier entièrement.

 

-  Quand lit-on ?

En Bretagne plus encore qu’à Paris en raison d’une vie mondaine moins intense. Constitution d’une petite société liseuse aux Rochers.

 

Faire parler le mot-clé

-  Lire et relire

« Je les lis et les relis » (ie les lettres de Mme de Grignan) Preuve que la lettre est le substitut de l’être aimé et que la marquise leur voue une adoration fétichiste.

 

-  Lire et avoir lu

Dans les lettres de Mme de Sévigné, très nombreuses sont les traces de lectures antérieures, qu’il s’agisse de lectures d’ouvrages littéraires présents sous forme de citations bien réglées  (une strophe de Saint-Amant p. 244, un vers du Cid p. 44, un passage de Rabelais p. 348  ) ou d’allusions plus fugaces entièrement fondues dans la lettre de la marquise  témoignant de l’importance de la culture de cette dernière et du fait qu’elle a beaucoup lu avant d’écrire. Mais chaque lettre porte aussi les traces de sa lecture de la dernière lettre en date de Mme de Grignan. Christine Noille remarque que « le déroulement de la réponse suit en écho le déroulement de la lettre reçue (…) La lettre autographe du 21 juin 1671 à Mme de Grignan en est une illustration claire. On trouve ainsi, après un développement initial sur les retards postaux (…) les amorces suivantes pour introduire chacun des points en réplique : 

Vous me mandes des choses admirables de vos cérémonies de la Fête-Dieu (…) Je suis encore plus contente du reste de vos lettres (…°) C’est une belle chose , ce me semble, que d’avoir fait brûler les tours blonds (…) J’ai vu avec beaucoup de plaisir ce que vous écrivez à notre abbé »[ii]

« Des scorpions ! » incipit de la lettre du 28 octobre correspond à ce que la marquise retient de sa lecture de la dernière lettre de sa fille.

 

-   Lire et être lu(e)

Mme de Sévigné a profondément conscience d’être lue, aussi adapte-t-elle ce qu’elle écrit à la personne qui va la lire. Les exemples d’auto-censure sont nombreux .  ( Se  reporter à la lettre du 8 avril vue en explication de texte)Après avoir causé du chagrin à Bussy, elle change de ton, oublie le persiflage et « l’impertinence » pour ne plus inspirer qu’ « estime » et « amitié ». (Lettre du 23 février) Elle pressent, par son jeu de devinettes, que Coulanges ne croira pas ce qu’elle lui annonce dans la première lettre.

 

 

 Vers une problématique…

En tant qu’agrégatifs, nous étudions ce qu’écrit la marquise… Le sujet proposé est donc légitime si nous nous demandons comment se reflète ce que lit la marquise dans ce qu’elle écrit. Ce qu’elle lit, ce qu’elle a lu se reflète à travers l’intertextualité, à travers la structure de ses lettres reprenant celle des lettres de Mme de Grignan, à travers les compte-rendu et les conseils de lecture qu’elle adresse à sa fille. On peut même aller plus loin et préciser que l’acte de lire entoure chacune des lettres de la marquise, qu’il est présent en amont (Mme de Sévigné répond à une lettre qu’elle vient de lire, elle est porteuse de toute une culture littéraire, elle est occupée à lire des ouvrages dont elle recommande la lecture à sa fille) et aussi en aval (Elle adapte ce qu’elle dit à la personnalité ou à l’état d’esprit de celui qui la lira).

Ce travail est loin d’être fini… Auriez-vous une idée de plan ou de problématique ?

 

 



[i] Michèle Rosellini : « Lecture et expérience de soi dans les Lettres de l’année 1671 », communication du samedi 1er décembre 2012 à l’université Lyon 3

[ii] Christine NOILLE : « Les lettres de Sévigné sont-elles informes ? Eléments pour une rhétorique de la disposition », Lectures de Mme de Sévigné, Presses universitaires de Rennes, 2012

  FV