Programme 2013 : Leçon

> Mme de Sévigné - Lettres de l'année 1671

"La Bretagne"

Proposition de leçon

 

Pendant l’année 1671, Mme de Sévigné va faire un long séjour en Bretagne, et donc y écrire de nombreuses lettres entre le 31 mai (lettre 50) et le 9 décembre (lettre 105), soit la moitié des 110 lettres qui constituent le recueil des Lettres de l’année 1671. Partir sur ses terres à la belle saison est une habitude de la bonne société. « Bien du monde s’en va lundi comme moi » écrit la marquise (p. 188) Mais ce voyage en Bretagne est pour la marquise moins affaire de plaisir que de nécessité, il est question avant tout de la gestion de ses biens et de « comptes de fermiers ». Le château des Rochers et la tour de Sévigné à Vitré, les deux demeures dans lesquelles va résider la marquise pendant ce séjour de 1671 sont l’héritage de son époux, Henri de Sévigné, de famille bretonne.  Bien qu’annoncé dès le 11 février, ce voyage n’est pas entrepris sans regret ni appréhension. En effet, le séjour breton double la distance entre Mme de Grignan et sa mère. Partir c’est donc rejouer le drame de la séparation et c’est se trouver dans un lieu depuis lequel il n’est pas imaginable de rallier la Provence. Non seulement Mme de Sévigné part-elle pour les Rochers à contrecoeur, et elle l’exprime de la façon la plus littérale qui soit, puisqu’elle dit « prendre un chemin opposé à celui de son cœur »  (p. 189) mais aussi doit-elle accepter de ne pas «  joindre pour cette année, la Bretagne à la Provence » (p.194). Autrement dit, le voyage en Bretagne, entrepris dans une atmosphère de renoncement, va ouvrir sur un séjour forcé qui se substitue au séjour rêvé et désormais retardé à Grignan. Comment la violence causée à la marquise par le séjour en Bretagne va-t-elle susciter une sorte de rejet se matérialisant par la satire et l’échappée imaginaire vers un ailleurs ?

 

Plan

1-      La Bretagne : d’un nouvel espace de rédaction à une thématique acceptée

2-      Marie de Sévigné, parisienne en Bretagne

3-      La Bretagne en concurrence

 

 

1-      LA BRETAGNE : D’UN NOUVEL ESPACE DE REDACTION A UNE THEMATIQUE ACCEPTEE

 

a-      Le nouveau rythme des courriers

 

La Bretagne constitue donc à partir de la fin mai 1671 un  nouvel espace de rédaction qui va provoquer plusieurs modifications, soit dans l’écriture des lettres, soit dans l’organisation des courriers. Tout d’abord, du fait d’une distance accrue, les lettres de Mme de Grignan mettent dix jours à parvenir à Mme de Sévigné, qui ne les reçoit plus qu’un jour dans la semaine, le vendredi.  L’attente, corrélat temporel à l’éloignement géographique, est difficile à vivre et se traduit d’abord par de nombreux commentaires sur l’organisation du service postal , soudain plus concrète aux yeux de la marquise « Je suis en fantaisie d’admirer l’honnêteté de ces messieurs les postillons, qui sont incessamment sur les chemins pour porter et reporter nos lettres » (p. 242). L’entrée en matière de chaque lettre est plus que jamais axée sur un « sot chapitre » celui consacré à faire état de la réception ou de la perte d’une lettre.  Les aléas de la correspondance se traduisent  aussi par une exacerbation de l’inquiétude. La lettre 54 témoigne d’une crise terrible suite à douze journées sans que Mme de Sévigné ne reçoive de lettres de sa fille. Le prix d’une lettre parvenue aux Rochers  se trouve donc doublé. Recevoir les lettres attendues ne met pas fin aux inquiétudes, la marquise redoute que l’augmentation de la distance entre elles, ne fasse obstacle à la confidence. « Que vous dirai-je encore ma chère ? Il y a peu de choses dont on puisse parler à cœur ouvert de trois cent lieues » (p.223) De la même façon, toute lettre égarée peut être à l’origine d’un « malentendu ». C’est donc toute une communication de la qualité de laquelle dépend le bien-être de la marquise qui est perturbée.

 

b-      Des lettres qui se referment sur elles-mêmes

 

Parce qu’en Bretagne, la marquise est éloignée d’une vie mondaine source de nombreuses anecdotes, le contenu des lettres se trouve changé. « C’est purement de mes nouvelles que vous aurez » (p. 202). L’échange se resserre autour de la relation entre les deux épistolières et donne la primauté à la vie intérieure de la marquise plutôt qu’aux nouvelles de l’extérieur : souvenirs d’un temps où les deux femmes étaient réunies, rêveries sur le motif des retrouvailles, souci de se faire dévote exprimé dès la lettre  52 mais que l’on retrouve ensuite à propos de sa lecture des Essais de Morale de Nicole dont elle retire un bénéfice, sinon spirituel, du moins moral. Si les lettres se désintéressent de l’extérieur, c’est aussi que la marquise se trouve bien souvent confinée dans  sa maison, la faute en incombant à la pluie bretonne. Les anecdotes collectées au gré des visites mondaines laissent la place aux commentaires des lectures faites au sein d’une micro-société, constituée de la marquise, l’abbé de Coulanges, La Mousse et parfois Charles de Sévigné. La marquise vit donc tout ce séjour breton avec une épée de Damoclès sur sa tête d’épistolière : susciter l’ennui par des considérations lénifiantes sur la pluie et le beau temps (p. 209-210 et p. 221). Un défi s’impose donc à elle : soutenir l’intérêt des lettres malgré la « disette de sujets ».

 

c-       La matière de Bretagne : « Que mes lettres sont sauvages ! »

 

Marie de Sévigné se retrouve donc face à une contradiction : elle ne peut plus vraiment transmettre à sa fille des nouvelles de Paris, le temps que celles-ci lui parviennent aux Rochers, d’autres correspondants toujours sur place en auront averti avant elle la comtesse de Grignan. Elle feint donc de ne plus s’y intéresser  (p. 236 « Ce qu’on me mande me fait mourir d’ennui ») sans pour autant trouver plus de crédit aux nouvelles bretonnes. Si ses lettres sont "sauvages", c’est par cette rupture presque absolue avec l’univers raffiné et policé de Paris(1).  La correspondance devient un « chien de commerce avec une femme de Vitré » (p. 253) Outre la tournure dépréciative, notons la perte du lien familial : cette bretonne-là ne saurait être la mère de Mme de Grignan. Malgré cela, Mme de Sévigné nourrit bien ses lettres d’anecdotes bretonnes, tout en soulignant à chaque fois que ces informations sont sans mérite ni intérêt : ce sont des récits réticents que l’on fait en ayant l’air de ne pas vouloir les faire, qu’on l’on accompagne d’une phrase de repentir « Il faut avouer que la disette de sujets m’a jetée aujourd’hui dans de beaux détails . En voici encore un » » (p. 253), des récits que l’on adresse en punition plaisante à Mme de Grignan, pour sa peine d’être bretonne, des récits à traiter par l’antiphrase pour en faire de « grandes cabales » (p. 210). Mais en dépit de ces réserves, la marquise se laisse progressivement prendre aux charmes des nouvelles bretonnes et ses lettres s’ouvrent à un pittoresque qui fait exister la région dans les lettres. Le parler breton « Je vous demande excuse », l’image d’une Bretagne toujours entre deux bals ou entre deux vins , les châtaignes « C’est la Bretagne dans son triomphe », la pluie, les patronymes , les foins considérés sous un angle esthétique, tout cela constitue une nouvelle matière pour la correspondance. Le spectacle breton  et ses postures parfois triviales « à pâmer de rire » finissent par charmer la marquise qui le trouve « merveilleux » et « extraordinaire », digne d’être connu de sa fille, « Je veux vous parler d’un bal… joli » (p. 291).

T : Le départ en Bretagne est donc bien pour la marquise une violence dans la mesure où elle redouble les « horreurs de la séparation » et où elle fait peser une menace sur la qualité et la possibilité même de la communication. Ces circonstances négatives vont sans doute peser sur la façon dont la marquise considère et évoque la Bretagne dans les Lettres de 1671.

 

2-      MARIE DE SEVIGNE, PARISIENNE EN BRETAGNE

 

a-      Un désir de retraite contrarié

 

Mme de Sévigné semble exprimer un désir paradoxal : celui d’aller en Bretagne sans y être vraiment, elle y voit l’occasion d’une retraite paisible dans laquelle elle ne serait jamais vraiment confrontée à la Bretagne et aux bretons. Car, pour continuer sur cette voie du paradoxe, c’est la retraite qui seule peut sauver d’un ennui inhérent à la Bretagne. Promenades solitaires « Je suis tout le jour à trotter dans ces bois »,  aménagements de son domaine, lectures entre proches, les Rochers conviennent à un désir d’auto-préservation et à son aspiration à une « parfaite solitude ». De la Bretagne, Mme de Sévigné veut ne retenir que la nature « Je ne veux que la campagne », et au moment du retour vers Paris, elle se déclare « épouvantée du regret de (…) quitter ces bois » (p. 367) mais les Bretons point. Or, dès son arrivée elle est assaillie de visites importunes, « Je laissai l’autre jour retourner chez soi un carrosse plein de Fouesnellerie…les fils » (p. 226) et de sollicitations. La maitresse des Rochers est un véritable centre d’attraction pour la petite noblesse des environs de Vitré, pour Melle du Plessis qui s’applique à « copier » celle qui vient de Paris. Evénement politique majeur, les Etats de Bretagne sont un « embarras » et une « sujétion » et exposent la marquise à un dilemme : aller à Vitré ou recevoir chez elle toute la noblesse bretonne. Le sentiment qu’en a la marquise est celui de l’invasion « Hier, je reçus toute la Bretagne à ma tour de Sévigné ». Il faut en outre ménager stratégiquement  la duchesse et le duc de Chaulnes, gouverneur de la Province

 

b-      Un regard toujours distancié

 

Ces contrariétés peuvent expliquer que Mme de Sévigné ne porte pas sur la Bretagne et ses habitants –des fâcheux…- un regard particulièrement amène. Il convient aussi de rappeler que la marquise, née à Paris d’une famille bourguignonne, n’a pas d’attachement viscéral pour cette terre léguée par un mari avec qui elle fit mauvais ménage. Marie de Sévigné n’est pas bretonne, contrairement à Mme de Grignan qui l’est par son père. Ce fait n’est mentionné que pour en faire plaisanterie. C’est une chose piquante que la belle Mme de Grignan soit attachée par le sang à un pays où les femmes sont « si sottes ».  Mme de Sévigné considère donc la Bretagne en étrangère et  en parisienne. Dans la lettre du 24 avril, elle s’exclame « Je méprise la Bretagne » : attention à ne pas donner à cette phrase un sens aussi fort que celui qu’elle semble avoir. Le contexte – trop de coquetterie est déplacée en cette terre sauvage- nous indique que la marquise est dans l’hyperbole, l’exagération, il n’en demeure pas moins que la marquise reste toujours très extérieure à ce lieu et qu’elle ne l’adopte jamais. « C’est une sorte de vie étrange que celle des provinces » (p. 95). Les moeurs y sont différentes. A propos de Mme de Quintin « Que dites-vous de cette manière bretonne, familière et galante ? » (p. 253) Si les Etats sont présentés sous l’angle de la condamnation c’est qu’ils imposent des mondanités qui n’ont pas le lustre de celles de Paris. Mme de Sévigné en retient les festins paradoxaux où l’on meurt de faim et un gaspillage abyssal qui font de ces agapes une nouvelle incarnation du repas ridicule (cf. Satires de Boileau). Dans la lettre 71, le discours narrativisé souligne la vacuité des propos « On dit et on répondit beaucoup de choses ». C’est que les Etats sont une survivance médiévale assez artificielle. La marquise n’en est pas dupe, « Les Etats ne doivent pas être longs. Il n’y a qu’à demander ce que veut le roi » (p. 268)(2) et finalement son action politique au sein des Etats se trouvera assez réduite en proportion de l’embarras que cela lui a causé « J’ai fait plaisir… raison » (p. 300)

 

c-       L’ardeur satirique

 

Le ton avec lequel Mme de Sévigné va évoquer la Bretagne et les bretons est donc essentiellement celui de la satire. Rire des imprononçables noms bretons était déjà un élément du rabutinage entre la marquise et son cousin Bussy comme on le voit à la page 46. « Kerborgne, Kerlouche, Croque-Oison », ces déformations donnent une épaisseur évocatrice à ces silhouettes vites esquissées.  Remarquons d’ailleurs que ce sont les femmes qui sont les principales victimes de cette ardeur satirique. Il n’est question que des femmes de ce pays qui sont souvent «  si sottes », d’une cousine affublée du nom de « guimbarde », d’une « sotte bête qui veut être à la mode » et fait un emploi erroné du mot « médianoche » et de la Launay , « bariolée comme la chandelle des rois ». Melle du Plessis – ou de Kerlouche…-  créature mi- comique, mi- pathétique va être malgré elle la vedette d’un feuilleton breton. Pour bien comprendre ce qui se joue, il faut insister sur le fait que dans la hiérarchie nobiliaire, Melle du Plessis occupe un rang inférieur à celui de la marquise de Sévigné. Toute  noble soit-elle, sous la plume de la marquise, elle semble quelque « pecque provinciale » fascinée par les manières parisiennes mais aussi mythomane , « exagéreuse », aussi fausse dans son être que dans ses mots. Au temps où Françoise de Grignan n’était encore que Melle de Sévigné, elle donna quelques soufflets à Melle du Plessis. Cet antagonisme ancien explique la violence de la charge contre la pauvre demoiselle bretonne : tout est bon pour nourrir la complicité entre la mère et la fille.  Mais si Mme de Grignan a maintenant quitté le pays de ses ancêtres, Melle du Plessis, elle, y est toujours et sa présence est un rappel violent de l’absence de la fille adorée. C’est pour cela qu’elle fait l’objet d’une telle cruauté de la part de Mme de Sévigné  -  « J’ai fait dire méchamment par Vaillant que j’étais jalouse de cette nouvelle amitié » (p. 201) -qui n’hésite pas à la tromper pour mieux la ridiculiser.

 

T : Mme de Sévigné semble donc bien voir la Bretagne à travers le filtre de sa mauvaise humeur, son désir de solitude contrarié, le manque de sa fille et un mépris pour ce qui est provincial. Mais ce qui fait surtout le propre de cette évocation de la Bretagne en cette année 1671, c’est l’omniprésence en filigrane d’une autre région de France, la Provence.

 

3-      LA BRETAGNE EN CONCURRENCE

 

a-      Un rapprochement systématique

 

Si Mme de Sévigné et sa fille sont désormais plus éloignées l’une de l’autre que quand la marquise était à Paris, au moins partagent-elles maintenant un nouveau point commun : habiter en province. Tout naturellement s’ébauchent des comparaisons entre ces deux régions, comparaisons qui vont faire que la Provence éloignée et imaginée va prendre progressivement autant de place que la Bretagne réelle et vécue. La lettre 76 établit une comparaison entre le tempérament provençal, si contraire à l’idée que s’en faisait la marquise, et le tempérament breton. La Bretagne s’en tire avec les honneurs,  « Ah ! que je comprends bien mieux mes bretons », cette région-là , par ailleurs critiquée, n’ayant pas commis le crime de lui ravir sa fille. Les Etats sont l’occasion d’une autre comparaison. Si la marquise avait du recevoir toute la Bretagne, Mme de Grignan quant à elle, a chez elle « toute la foire de Beaucaire » (p. 264). Là encore , Mme de Sévigné souligne l’exemplarité bretonne : « Plût à Dieu qu’à proportion on fût aussi libéral en votre Provence ! » Derrière ces critiques se profile l’idée que Mme de Grignan n’est pas là où elle devrait être, aux Rochers, avec sa mère, dans un lieu empli de son souvenir. Les deux provinces sont en revanche englobées dans une même critique à la fin de la lettre 72 : « Il me semble que vous voyez bien des provinciaux à Grignan. Si vous saviez aussi, ma bonne, la quantité de Bretons que l’on voit tous les jours ici, cela n’est pas imaginable. » La fausse naïveté de cette remarque permet de s’indigner sur un mode léger contre l’absurdité de cette vie provinciale pour l’une et l’autre. La séparation, la province : la peine est double.

 

b-      Abolir la distance

 

Les lettres de 1671 témoignent d’un effort constant pour ramener l’absente, désormais installée en Provence, dans la propriété de sa mère en Bretagne. Tout d’abord, la marquise use abondamment de formules telles que « comme vous », « parler de vous » qui intègrent Françoise de Grignan parmi les conversations et les activités bretonnes, à une place qui est plus légitimement la sienne que celle qu’elle occupe loin de sa mère.  Citons par exemple les bals où tout rappelle douloureusement à la marquise l’adresse de sa fille à la danse.  « Je meurs quelquefois d’envie de pleurer au bal » (p. 292). Le souvenir, la rêverie  permettent  de ressusciter une Bretagne passée où Melle de Sévigné parcourait les allées de Rochers et où maintenant la marquise croit voir son fantôme. Dans la lettre 56, les deux espaces se confondent, « Mes allées sont d’une beauté extrême ; je vous les souhaite quelquefois pour servir de promenade à votre grand château ». Il s’agit de créer par l’imagination un espace hybride et commun qui, outre qu’il permettrait la réunion de la mère et de la fille joindrait à la splendeur du château de Grignan la fraicheur de l’ombre bretonne.

 

c-       Dématérialisation de la Bretagne

 

Une fois l’été et les Etats de Bretagne passés, on constate que les lettres de Mme de Sévigné évoquent de moins en moins la région dans laquelle elle se trouve, moins d’anecdotes, moins de descriptions, pour au contraire évoquer de plus en plus souvent la Provence vers laquelle tend son désir. La contrariété d’être en Bretagne loin de sa fille se guérit donc à travers une échappée imaginaire vers la Provence.  Aux « pauvres Rochers », frappés de désolation en raison de l’absence de Françoise de Grignan, Mme de Sévigné préfère maintenant se construire en imagination le lieu qui contient sa fille et pour lequel elle est dans « l’ignorance ».  Physiquement en Bretagne, Mme de Sévigné est déjà mentalement en Provence.  « Je me suis fait une Provence » (p. 220), « Je passe bien plus d’heures à Grignan qu’aux Rochers » (p. 239) ou même « La Provence est devenue mon vrai pays » (p. 343). Associé au futur dans lequel se projette la marquise, à l’espoir de retrouvailles avec sa fille, puisque le voyage de 1672 se précise de plus en plus (cf. p.330)  l’espace provençal est donc destiné à se substituer à l’espace breton. Le voyage imaginaire précède en tout cas le voyage réel.

 

La marquise de Sévigné est donc animée de sentiments contradictoires vis-à-vis de la Bretagne, cette terre qu’elle a visitée dès après ses noces et où est né son fils Charles, qui sera lui, le  breton  de la famille puisqu’il finira par s’installer sur ses terres. Le peu d’affinités de Mme de Sévigné  avec la Bretagne s’amplifie dans cette année 1671 car l’éloignement entre Grignan et les Rochers fait peser plusieurs menaces sur la communication épistolaire : acheminements plus longs et plus compliqués, pauvreté des nouvelles à transmettre, éloignement qui pourrait détendre le lien entre la mère et la fille. La Bretagne cependant vaut comme espace propice à la retraite, la nature domestiquée des Rochers trouve plus d’indulgence que les bretons et,  parmi les bretons, les gens du peuple plus d’indulgence aussi que les nobliaux. C’est que dans l’esprit de la marquise, la Bretagne espace privé de Mme de Grignan, tend à disparaître au profit d’un autre espace provincial, inconnu mais fantasmé, et qui a le mérite d’abriter Mme de Grignan.

 

 



(1) Dans le cas d’une leçon qui aurait pour point de départ cette phrase, il y aurait bien évidemment mille autres choses à dire sur la façon dont cette phrase éclaire la poétique des Lettres.

 

(2) La Bretagne est un pays d’états, c’est-à-dire que cette région définitivement rattachée à la France en 1532 possède une assemblée représentative composée de membres du clergé, de gentilshommes et de députés des villes bretonnes. La Bretagne doit accorder au roi le don, une somme d’argent en principe fixée par les membres des états de Bretagne mais en réalité déterminée par le roi. (Source : Lexique historique de la France d’Ancien Régime de G.Cabourdin et G.Viard, Armand Colin, 1981)

 FV