Méthodes : La didactique

> Le Naturalismefreres-goncourt.jpg

Composition de didactique

Devoir noté 12/20 à la session 2011 de l’agrégation interne de lettres modernes

 

Sujet :

"Dans une classe de Seconde, vous étudiez le groupement de textes suivant : dans le cadre de l'étude d'un "mouvement littéraire et culturel". Vous présenterez votre projet d'ensemble et les modalités de son exploitation en classe." 


1. François Coppee (1842-1908), « La Famille du Menuisier », in Les Humbles,
Paris, Lemerre, 1872.
2. Emile Zola, (1840-1902), L'Assommoir, ch. 3, Paris, Charpentier, 1877.
3. Guy de Maupassant (1850-1893), Boule de Suif, in Les Soirees de Medan,
Paris, Charpentier, 1880.
4. Edmond de Goncourt (1822-1896), Germinie Lacerteux, piece en dix tableaux
representee pour la premiere fois, a Paris sur Ie Theatre national de I'Odeon, Ie
18 decembre 1888, Paris, Charpentier, 1888.

EXTRAIT 1: Coppée

Le marchand de cercueils vient de trousser ses manches
Et rabote en sifflant, les pieds dans les copeaux.
L'annee est bonne; iI n'a pas Ie moindre repos
Et me me il ne boit plus son gain tous les dimanches.
Tout en jouant parmi les longues bieres blanches,
Ses enfants, deux blond ins tout roses et dispos,
Quand passe un corbillard, lui tirent leurs chapeaux
Et benissent la mort qui fait vendre des planches.
La mere, supputant de combien s'accroitra
Son epargne, s'il vient un nouveau cholera,
Tricote, en souriant, au seuil de la boutique;
Et ce groupe joyeux, dans I'or d'un soir d'été,
Offre un tableau de paix na'ive et domestique,
De bien-etre honorable et de bonne sante.

EXTRAIT 2: Zola

Dans la galerie d'Apollon, Ie parquet surtout emerveilla la societe, un parquet luisant, clair
comme un mirok, ou les pieds des banquettes se refletaient. Mademoiselle Remanjou
fermait les yeux, parce qu'elle croyait marcher sur de I'eau. On criait à madame Gaudron de
poser ses souliers à plat, a cause de sa position. M. Madinier voulait leur montrer les dorures
et les peintures du plafond ; mais ça leur cassait Ie cou, et ils ne distinguaient rien. Alors,
avant d'entrer dans Ie salon carre, iI indiqua une fenetre du geste, en disant :
- Voila Ie balcon d'ou Charles IX a tire sur Ie peuple.
Cependant, iI surveillait la queue du cortege. D'un geste, iI commanda une halte, au
milieu du salon carre. II n'y avait la que des chefs-d'ceuvre, murmurait-il a demi-voix, comme
dans une eglise. On fit Ie tour du salon. Gervaise demanda Ie sujet des Noces de Cana;
c'etait bete de ne pas ecrire les sujets sur les cadres. Coupeau s'arreta devant la Joconde, a
laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi-Ia-Grillade
ricanaient, en se montrant du coin de I'ceil les femmes nues ; les cuisses de I'Antiope surtout
leur causerent un saisissement. Et, tout au bout, Ie menage Gaudron, I'homme la bouche
ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient beants, attendris et stupides, en face
de la Vierge de Murillo.
Le tour du salon termine, M. Madinier voulut qu'on recommen<;at ; <;aen valait la peine. II
s'occupait beaucoup de madame Lorilleux, a cause de sa robe de soie; et, chaque fois
qu'elle l'interrogeait, il repondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle s'interessait
a la maltresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille a la sienne, ilia lui
donna pour la belle Ferronniere, une maltresse d'Henri IV, sur laquelle on avait joue un'
drame, a l'Ambigu.
Puis, la noce se lança dans la longue galerie au sont les ecoles italiennes et flamandes.
Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec
des figures qu'on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des betes devenues jaunes,
une debandade de gens et de choses dont Ie violent tapage de couleurs commen<;ait a leur
causer un gros mal de tete. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement Ie cortege, qui Ie
suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en I'air. Des siecles d'art passaient devant
leur ignorance ahurie, la secheresse fine des primitifs, les splendeurs des Venitiens, la vie
grasse et belle de lumiere des Hollandais. Mais ce qui les interessait Ie plus, c'etaient encore
les copistes, avec leurs chevalets installes parmi Ie monde, peignant sans gene; une vieille
dame, montee sur une grande echelle, promenant un pinceau a badigeon dans Ie ciel tendre
d'une immense toile, les frappa d'une fa<;on particuliere. Peu a peu, pourtant, Ie bruit avait dû
se repandre qu'une noce visitait Ie Louvre; des peintres accouraient, la bouche fendue d'un
rire ; des curieux s'asseyaient a I'avance sur des banquettes, pour assister commodement
au defile; tandis que les gardiens, les levres pincees, retenaient des mots d'esprit. Et la
noce, deja lasse, perdant de son respect, traTnait ses souliers a c1ous, tapait ses talons sur
les parquets sonores, avec Ie pietinement d'un troupeau debande, lache au milieu de la
proprete nue et recueillie des salles.
M. Madinier se taisait pour menager un effet. II alia droit a la Kermessede Rubens. La, il
ne dit toujours rien, il se contenta d'indiquer la toile, d'un coup d'ceil egrillard. Les dames,
quand elles eurent Ie nez sur la peinture, pousserent de petits cris; puis, elles se
detournerent, tres rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les details orduriers.
- Voyez donc ! repetait Boche, çavaut I'argent. En voila un qui degobille. Et celui-Ia, iI arrose
les pissenlits. Et celui-Ia, oh ! celui-Ia ... Ah bien! ils sont propres, ici !
- Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succes. II n'y a plus rien a voir de ce cote.
La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau Ie salon carre et la galerie d'Apollon.

EXTRAIT 3: Maupassant

Ces six personnes formaient Ie fond de la voiture, Ie cote de la societe rentee, sereine
et forte, des honnetes gens autorises qui ont de la Religion et des Principes.
Par un hasard etrange toutes les femmes se trouvaient sur Ie meme banc ; et la comtesse
avait encore pour voisines deux bonnes sceurs qui egrenaient de longs chapelets en
marmottant des Pater et des Ave. L'une etait vieille avec une face defoncee par la petite
verole comme si elle eat reçu a bout portant una bordee de mitraille en pleine figure. L'autre,
tres chetive,avait une tete jolie et maladive sur une poitrine de phtisique'rongee par cette foi
devorante qui fait les martyrs et les illumines.
En face des deux religieuses, un homme et une femme attiraient les regards de tous.
L'homme, bien connu, etait Cornudet Ie democ, la terreur des gens respectables. Depuis
vingt ans, il trempait sa barbe rousse dans les bocks de tous les cafes democratiques. II
avait mange avec les freres et amis une assez belle fortune qu'il tenait de son pere, ancien
confiseur, et il attendaitimpatiemment la Republique pour obtenir enfin la place meritee par
tant de consommations revolutionnaires. Au Quatre Septembre, par suite d'une farce peutetre, il s'etait cru nom me prefet, mais quand il voulut entrer en fonctions, les gar90ns de
bureau, demeures seuls maTtres de la place, refuserent de Ie reconnaître, ce qui Ie
contraignit a la retraite. Fort bon garç0n, du reste, inoffensif et serviable, il s'etait occupe
avec une ardeur incomparable d'organiser la defense. II avait fait creuser des trous dans les
plaines, coucher tous les jeunes arbres des forets voisines, seme des pieges sur toutes les
routes, et, a I'approche de I'ennemi, satisfait de ses preparatifs, il s'etait vivement replie vers
la ville.
II pensait maintenant se rendre encore plus utile au Havre, ou de nouveaux
retranchements allaient etre necessaires.
La femme, une de celles appelees galantes, etait celebre par son embonpoint precoce qui
lui avait valu Ie surnom de Boule de Suif. Petite, ronde de partout, grasse a lard, avec des
doigts bouffis, etrangles aux phalanges, pareils a des chapelets de courtes saucisses, avec
une peau luisante et tendue, une gorge enorme qui saillait sous sa robe, elle restait
cependant appetissante et courue, tant sa fralcheur faisait plaisir a voir. Sa figure etait une
pomme rouge, un bouton de pivoine pret a fleurir; et la-dedans s'ouvraient, en haut, des
yeux noirs magnifiques, ombrages de grands cils epais qui mettaient une ombre dedans ; en
bas, une bouche charmante, etroite, hum ide pour Ie baiser, meublee de quenottes luisantes
et microscopiques.
Elle etait de plus, disait-on, pleine de qualites inappreciables.
Aussitot qu'elle fut reconnue, des chuchotements coururent parmi les femmes honnetes,
et les mots de « prostituee », de « honte publique » furent chuchotes si haut qu'elle leva la
tete. Alors elle promena sur ses voisins un regard tellement provocant et hardi qu'un grand
silence aussitot regna, et tout Ie monde baissa les yeux a I'exception de Loiseau, qui la
guettait d'un air emoustille.
Mais bientot la conversation reprit entre les trois dames que la presence de cette fille avait
rendues subitement amies, presque intimes. Elles devaient faire, leur semblait-il, comme un
faisceau de leurs dignites d'epouses en face de cette vendue sans vergogne ; car I'amour
legal Ie prend toujours de haut avec son libre confrere.

EXTRAIT 4: Goncourt

Un coin du bal de la Boule Noire. Aux murs blancs, de grossieres copies des Saisons de
Prudhon, eclairees par des bras a trois jets de gaz, refletes dans des glaces, et aux portes et
aux fenetres, des lambrequins de velours grenat, bordes d'un galon d'or. La vue est prise eri
dehors de l'orchestre et du rond de la danse ,. au milieu, des tables peintes en vert et des
banes de bois faisant Ie cafe du bal. 
Deux femmes sont assises a une table, devant un sa/adier de vin sucre, I'une en chemise
de flanelle rouge, l'autre encapuchonnee dans une capeline de tricot blanc liseree de bleu.
Un petit voyou a la tignasse frisee, aux yeux impudents, au cou garni de la loque d'un
foulard des Indes a ramages, la figure traversee d'une eraflure, offre aux deux femmes, dans
une corbeille, des morceaux de gateau de Savoie et des pommes rouges.


SCENE PREMIERE


GLAE, MELiE, LE PETIT VOYOU, puis LA GAMINE


GLAE, au petitvoyou
Qu'est-ce qui t'a griffe comme ça la physionomie ?


LE PETIT VOYOU
C'est de la rousse... un sergent de ville qui m'a voulu arreter... mais trop bete je lui ai
tire mes croquenots. (II montre ses souliers.) Elle, ma soeur, n'a pas eu c't' chance elle est
d'hier a la Tour pointue ... eh bien oui, a la prefecture, (II regarde dans la coulisse.) Tiens, labas... voila Arthur, mon associe.

MELIE
Et pourquoi qu'on a arrêté ta soeur?


LE PETIT VOYOU
Elle vendait des fleurs... Eux autres, ils nous empechent... et ils laissent les Italiens... la
rousse ne leur dit rien. (Regardant les deux femmes.) Oh ! les femmes, je les aime-t-y, moi !
Quand je serai grand, il m'en faudra cinq a chaque bras... que je me fourre dedans. (Apparaft
Germinie qui fait Ie tour de la salle, regardant de tous cotes avec /'attention d'une personne
qui cherche quelqu'un.) Que 9a me gratte done fort... Oui, fai ete deux fois aux Enfants
Trouves et a l'Enfant Jesus... J'avais du mal dans la tete... lis ne m'ont rien fait... alors moi je
m'ai sauve... et j'y ai mis du saindoux que 9a les a fait friser, mes cheveux ! (Une petite
gamine de sept ou huit ans, aux yeux ardents d'une femme, vient a lui, ayant dans la main
quatre ou cinq bouquets de violettes d'un sou.) <;a c'est une de mes ouvrieres. (s'adressant
a la petite.) Combien ?

LA GAMINE
Trois


LE PETIT VOYOU
Eh bien, faut encore tes six sous... Crois-tu que, tou~ les soirs, je vas te payer, eomme
hier, I'omnibus pour la place Maub ? (La petite grogne et i1sse donnent en dessous deux ou
trois coups de pied.) Ah ! il yen a une aujourd'hui qui passe au Palais... c'est la dix-huitieme
fois, et elle n'a pas ses douze ans... elle avait ete voir une tireuse de cartes qui lui avait dit
qu'elle irait dans trois cabinets, mais qu'elle n'irait pas devant la justiee~.. Des blagues, quoi
L.. Ten viens-tu, ma gosse? .. 9a manque de capitalistes ici... Nous allons a la Grande
Hotel!



Quand Furetière publie en 1666 Le Roman bourgeois, le titre oxymorique de son ouvrage en signale immédiatement l'intention parodique : à l'époque de Mlle de Scudéry et de sa Clélie, il ne saurait être question pour un roman de représenter le monde bourgeois et, à plus forte raison, le peuple. La question de la représentation du peuple dans la littérature a donc longtemps été problématique. Absent, marginalisé dans des rôles secondaires, caricaturé ou assumant la seule fonction de faire rire, le peuple a dû attendre le XIXe siècle pour trouver véritablement sa place en littérature. Le groupement qui nous est proposé aujourd'hui se compose de quatre extraits appartenant à des gens différents -romans, poésie, théâtre- mais à une même période, le dernier quart du XIXème siècle. Tout d'abord avons-nous affaire à un sonnet de François Coppée « La Famille du Menuisier » issu du recueil Les Humbles, puis viennent l'extrait d'un roman de Zola : l'Assommoir-il s'agit de la visite au musée qui suit le mariage de Gervaise et d'une nouvelle de Maupassant : "Boule de Suif". Le corpus se clôt sur l'adaptation théâtrale qu'Edmond de Goncourt fit de son propre roman Germinie Lacerteux. Notons que si Maupassant et Zola ont été associés explicitement au Naturalisme, ce n'est pas le cas des deux autres auteurs. On a usé du terme de Réalisme pour les qualifier, peut-être abusivement car seuls Champfleury et Duranty, au XIXe siècle, ont revendiqué ce mot. La cohérence du corpus est cependant assurée par deux points : tout d'abord, chacun des textes prend comme objet de la représentation des personnages issus du peuple, mais plus curieusement, on observe aussi la récurrence du mot «tableau», pris dans un sens pictural ou dramaturgique-découpage d'une pièce de théâtre. Cela nous amène à nous poser la question suivante : dans quelle mesure le peuple peut-il constituer un spectacle ? Et comment ce spectacle peut-il coïncider avec les nécessités d'une représentation fidèle et complète de la réalité comme l'exige le naturalisme ? Après avoir défini les éléments nécessaires à la mise en place de la séquence, nous détaillerons chacune des séances proposées.

 

La séquence peut se situer relativement tôt dans l'année, à la fin du premier trimestre par exemple, après un travail sur la nouvelle qui assurerait la transition avec la classe de troisième. Le corpus présente un grand intérêt : celui de montrer comment se construit un mouvement littéraire. Pour nos élèves de seconde, ce sera l'occasion de s'initier à cette notion à travers l'objet d'étude « mouvement littéraire et culturel » inscrit au programme et de voir qu'un mouvement littéraire ne naît pas spontanément mais s'élabore, s'affine et trouve sa vraie définition. Les prérequis sont peu nombreux, mais on attend une maîtrise du discours rapporté, des différents niveaux de langue, nécessaires au repérage du discours indirect libre et de l'ironie. En outre, notre corpus présentant différents genres, on attend que les élèves possèdent quelques connaissances sur la façon d'aborder le texte poétique, théâtral et romanesque. Huit heures seront nécéssaires pour mener à bien cette séquence à laquelle nous assignons des objectifs grammaticaux - l'étude de la langue est ici incontournable, mais aussi culturels puisque l'objet d'étude nous invite à mettre la littérature en perspective avec d'autres formes artistiques.

Nous étudierons les textes dans l'ordre suivant : tout d'abord Coppée puis Goncourt qui présentent tous deux une vision presque caricaturale du peuple, du bon ouvrier au séduisant voyou. Ensuite nous aborderons Maupassant et Zola qui déploient plus de nuances dans leurs représentations de personnages populaires mais avec un regard souvent ironique. Nous montrerons donc un naturalisme en construction et la difficulté que semble présenter pour la littérature la question de cette représentation du peuple. La première séance opérera une comparaison entre le poème de Coppée et le tableau de Gustave Caillebotte Les Raboteurs de parquet qui présente un sujet a priori similaire et nous nous intéressons à la tension entre représentation conventionnelle et indices plus subversifs. Ensuite sera abordé le texte d'Edmond de Goncourt : nous verrons comment, au théâtre, le personnage populaire va se construire devant nous. "Boule de suif" fera l'objet des deux séances suivantes. Nous étudierons la place de l'ironie dans le texte puis nous proposerons une évaluation formative aux élèves sous forme d'un paragraphe de commentaire à rédiger. Pour cela nous avons sélectionné un extrait, les 6éme et 7éme paragraphes du texte, c'est-à-dire le portrait de Boule de suif. La cinquième séance tentera de mettre en relief la portée métatextuelle du texte de Zola qui propose une vraie réflexion sur la place du peuple dans l’art, le mot étant à prendre au sens propre, puisqu’il s’agit du comportement des invités de Gervaise et Coupeau au musée. La séquence se terminera par une évaluation sommative, il s'agira d'une écriture d'invention à partir de votre extrait de l'assommoir : « le lendemain de la noce, Bibi la grillade raconte sa visite au musée a un voisin. Vous serez attentif à utiliser un niveau de langue adapté». 

Venons-en maintenant à une présentation détaillée de chaque séance.

 

Pour la première séquence, nous présenterons aux élèves le sonnet de François Coppée en même temps que le tableau de Caillebotte Les Raboteurs de Parquet. Ce rapprochement servira dans un premier temps à montrer que ces activités artisanales acquièrent à cette époque une dignité artistique. Elles méritent d'être le sujet d'un tableau ou d'un sonnet. En outre, nous constatons que le peuple est représenté en association avec le thème du travail : il est laborieux ( la position des corps sur le tableau de Caillebotte laisse percevoir l’effort considérable que représente leur tâche) et méritant. Point n’est question ici d’une représentation subversive : la forme conventionnelle du sonnet fait sens avec la vision stéréotypée. On voit apparaître en effet le cliché de l’ouvrier alcoolique au v.4 « Et même il ne boit plus son gain tous les dimanches ». L’utilisation du présent fige la scène dans une sorte d’éternité, en un « tableau » (v. 13) organisé parfaitement, le père dans le premier quatrain, puis « ses enfants » dans le deuxième, « la mère » dans le premier tercet et enfin notre regard ayant parcouru tous les détails du tableau, il revient à une vision d’ensemble avec « ce groupe joyeux ». Le jeu des allitérations en s dans le premier tercet en b au dernier verre confère au tableau une allure harmonieuse. Cependant, la représentation de ce menuisier est plus singulière que celle des raboteurs de parquet. Les élèves devraient l’éprouver par contraste .En effet la périphrase du vers 1 « le marchand de cercueil » surprend déjà : ce n'est pas ainsi qu'on se figure immédiatement un menuisier. Tout l'intérêt du texte repose sur la tension existant entre ce sonnet qui encadre une représentation élogieuse du travail du peuple et cette présence de la mort, source de la prospérité de la famille. Au vers 10, le rejet « son épargne » met en relief la convoitise de la mère que son tricot assimile aux Parques attendant la mort de son prochain. Nulle ironie pourtant dans ce poème. Le dernier tercet nous interdit d'aller plus loin dans le sens d’une interprétation critique de ce cynisme. Coppée porte sur les personnages un regard paternaliste, un peu bien-pensant et, s'ils sont cyniques, ils le sont inconsciemment. Iil s'agit simplement de faire le tableau sans doute un peu idéalisé d’un univers simple et familier que résume la rime motivée « boutique/domestique ».

 

Après cette première séance, les élèves auront pu voir la tendance à l'idéalisation dans la représentation du peuple et le besoin de l’associer au travail, comme seul motif de dignité. Mais le stéréotype peut s'exprimer aussi de façon contraire : à l'ouvrier méritant succède alors le voyou.

 

L’extrait de Germinie Lacerteux pose d’emblée le problème du genre théâtral. Nous sommes ici confrontés à un personnage qui va être incarné sur une scène par un acteur. Nous mènerons l’étude de ce texte en suivant l’axe d’étude suivant : comment le personnage parvient-il à se construire sous nos yeux et comment affirme-t-il son identité populaire ? La première chose à rappeler est évidemment qu’au théâtre il n'y a pas de narrateur et que le personnage se définit par ce qu'il dit. Tout de suite nous voyons que Goncourt va doter ses personnages d’un langage très marqué socialement : la syntaxe des phrases est incorrecte, l'emploi des mots approximatifs ( « physionomie »), celui de l’argot plus que présent au point parfois qu'il faille une traduction, comme en témoigne la formule « eh bien oui à la préfecture » qui met en évidence ici la présence d'un autre destinataire-le public-sans doute moins habitué à ce terme que Glaé et Mélie. Les répliques des personnages sont presque saturées d'incorrections syntaxiques « je les aime-t-y ,moi! » et d’argot, et la représentation du peuple est bien différente ici de celle de Coppée : au travail honnête succède l'illégalité et des femmes « en chemise » qui font la fête devant un saladier de vin sucré. Sans doute outrée, cette représentation est-elle plus fidèle que la précédente ? Elle associe en tout cas le peuple à la fête, l'illégalité, l'alcool, la déchéance et, même si le petit voyou peut toucher par son statut d'orphelin, on a l'impression que Goncourt construit, par le simple fait d'un langage saturé, un véritable monstre théâtral.

 

Alors qu'au théâtre le personnage se présente directement à nous, dans un roman nous le découvrons à travers le regard du narrateur.

 

Dans la troisième séance, nous nous intéresserons au double regard que posent sur les personnages issus du peuple, Cornudet et Boule de suif, le narrateur d'une part et les autres personnages d’autre part. Deux points de vue entrent en effet en conflit. Il est curieux de constater que la configuration de la voiture reproduit celle d’un théâtre. Au fond, la salle et en face d’eux, deux personnages populaires qui « attirent tous les regards » mais aussi les injures,« prostituée ». L’enfermement donne à Cornudet et à Boule de suif le statut de bête curieuse et ce face à face forcé reproduit un peu celui du lecteur de romans naturalistes placé face à une telle réalité. Mais les personnages dans leur ensemble sont confrontés au regard surplombant du narrateur et si l’on a pu constater une opposition sociologique, son ironie va prendre chacun pour cible. En effet « des honnêtes gens autorisés qui ont de la religion et des principes » est une phrase qui ne rend pas compte du jugement du narrateur. Parce qu'elle est caricaturale, elle est suspecte et dénonce l’autosatisfaction des bourgeois . Pour autant Cornudet n’est pas épargné et la fin du 4ème paragraphe laisse entendre que, dans le contexte qui est celui de la guerre de 1870, il a préféré fuir Paris à l'approche de l'armée allemande. L'euphémisme « il s’était vivement replié vers la ville » nous le dit. La représentation sociologique semble ici donc plus équilibrée.

 

Nous poursuivrons l'étude du texte de Maupassant en proposant aux élèves une première évaluation. En début de seconde, on ne saurait donner un commentaire entier à rédiger. Nous assignons donc à cette séance un objectif méthodologique : rédiger un paragraphe correctement organisé, argumenté et illustré. Le passage à étudier va de «La femme » jusqu’à « inappréciables ». L'axe d'étude proposé est le suivant : « un portrait paradoxal ». Le professeur attend que les élèves repèrent comment s'organise le portrait, c’est-à-dire grâce à des indices « là-dedans ; en haut ; en bas », mais aussi qu'il voit le contraste entre l'isotopie de la graisse et celle du charme. Il serait bon qu'ils remarquent que la phrase procède souvent par expansion comme pour mimer les débordements de chair de Boule de suif. Ensuite ce portrait joue sur le mystère, que ce soit sur l'identité réelle de cette femme ou la nature de ses qualités « inappréciables ». Enfin, étudier un portrait impose de se poser la question : « qui voit ? » Dans notre cas, on s'interrogera sur la formule « tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir » Qui voit, ici ? Certainement pas les femmes en face de Boule de suif… Le narrateur ? Il ne fait pas partie de la diégèse. Omniscient, il peut nous délivrer une nouvelle information, l'impression que cause Boule de suif quand elle n'est pas face au regard réprobateur des femmes de la voiture.

 

L’ironie présente déjà chez Maupassant est un trait que l’on va retrouver chez Zola. L'extrait de l'Assommoir qui va nous occuper dans cette cinquième séance pose de façon explicite la question de la place du peuple dans le monde de l’'art. On peut donc lire cette visite au musée comme une métaphore de la tentative naturaliste pour donner au peuple sa place dans le roman. Pour étudier ce texte, nous proposons aux élèves les questions suivantes :

 

  1. Quelle appréciation les personnages ont-ils des tableaux ? 
  2. Etudiez le mouvement du texte. Quel renversement observez-vous ? 
  3. Dans quelle mesure ce texte peut-il être une métaphore de l’art naturaliste ?

 

Nous voyons que les personnages de Zola, des ouvriers peu éduqués -le plus instruit d’entre eux M. Madinier est cependant un piètre guide- s'ils ont des réactions enfantines ou interloquées ne sont pas cependant incapables de ressentir une émotion esthétique. Mais l’art les dépasse comme s’ils étaient confrontés à quelque transcendance comme le montrent les termes « église « et « recueillie ». L’intérêt se limite à trouver une ressemblance avec le réel ; ainsi la Joconde rappelle à Coupeau l’une de ses tantes. De la même façon, les personnages sont fascinés par les copistes. A travers ses personnages naïfs, Zola évoque de vision de l'art qui serait une plate imitation du réel Le plus significatif dans cet extrait est le basculement qui s’opère à son deuxième tiers. De spectateurs, les personnages deviennent un spectacle, tant cette noce débridée et semblable à un « troupeau » étonne dans ce lieu. La Joconde, la belle Ferronnière semblent faire une place aux personnages de Zola. Ils deviennent l’objet du regard des autres spectateurs au milieu de l'art le plus académique qui soit. La confrontation avec le tableau de Rubens La Kermesse mérite un commentaire. Chez Rubens comme chez Zola, il s’agit d’une fête populaire mettant en scène des personnages et des situations non idéalisés. Il est clair que les dames de la noce ne se reconnaissent pas dans le tableau. La seule idée qu'elles possèdent sans doute sur l'art est que l’art s’associe au beau. Si les personnages sont bien loin de comprendre ce qu’ils voient au Louvre, le lecteur peut, lui, être plus perspicace. Les « détails orduriers » qu’on voit sur le Rubens ne sont-ils pas ceux que l’on reproche à Zola et à l’Ecole Naturaliste ? Cet extrait apparaît donc comme une mise en abîme du projet zolien, c’est-à-dire projeter dans la littérature des sujets et des personnages triviaux et cela parce que le Naturalisme veut représenter la société dans son ensemble. Des personnages populaires peuvent être l’objet de la représentation sans toutefois constituer un spectacle comique.

 

La sixième séance clôturera la séquence par un travail d’invention. Il ne saurait en effet être question de laisser de côté le travail de la langue chez Zola. Après un rappel sur les différents types de discours rapporté et sur les discours indirect libre en particulier, nous proposerons le sujet suivant : « Le lendemain de la noce, Bibi-la-grillade raconte sa visite au musée à un voisin. Vous serez attentif à utiliser un niveau de langue adapté ainsi qu’à employer le discours indirect libre ». 

Le professeur attend qu’en cohérence avec l’extrait, l’élève sache reproduire le regard égrillard portée sur les œuvres mais surtout qu’à l’intérieur d’un récit, il manie correctement le discours indirect libre qui se caractérise par la superposition de deux voix, celle du narrateur et celle du personnage, et est souvent porteur d’effets ironiques. L’écueil à éviter étant celui d’une simple réplique qui ferait entendre que la voix du personnage. Quant au niveau de langue, les textes du corpus offrent suffisamment d’exemples à réutiliser.

 

Ainsi, au terme de cette séquence, les élèves auront pu mesurer comment a évolué la représentation du peuple dans la deuxième moitié du XIXème siècle, comment le Naturalisme, représenté par Zola et Maupassant a tenté de dépasser certains stéréotypes mais aussi comment l’objet populaire a influé sur l’expression romanesque elle-même. Le peuple n’a pas été qu’un thème à conquérir mais un véritable enjeu et une véritable réflexion.

Cette séquence ne nous aura pas cependant pas permis de faire le tour de ce qu’est le mouvement naturaliste. Il serait profitable de la prolonger par l’étude d’un roman de Zola, L’Assommoir par exemple ce qui nous permettrait de travailler avec des extraits des Carnets d’enquête de cet auteur pour bien marquer la volonté documentaire propre au Naturalisme.  FV