Méthodes : La didactique

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Composition de didactique 2

Devoir noté 14/20 à la session 2011 de l’agrégation interne de Lettres modernes

Contribution d’Isabelle DELAPART

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Émile Zola considéré comme le chef de file du Naturalisme a explicité sa conception de la littérature dans son ouvrage théorique : Le roman expérimental. Il y  explique l'influence du positivisme et des théories de Claude Bernard et prétend transférer la démarche scientifique expérimentale à la création littéraire. Son oeuvre colossale « les Rougon Macquart » entreprend ainsi de suivre la vie d'une famille sous le second empire. Chaque roman permet d'introduire l'un des membres de cette famille dans un milieu différent et de suivre son évolution sous l'influence du milieu où il est inséré. Dans le contexte du XIXe siècle où  la révolution industrielle amène l'essor des techniques et transforme en profondeur le paysage social européen, les romans d'Émile Zola offrent autant de facettes de cette radicale transformation où les écarts entre les classes sociales aggravent avec l'enrichissement de la bourgeoisie et l'émergence du prolétariat. Ainsi tandis que  Germinal met en scène la souffrance des ouvriers dans les mines de charbon, La Bête humaine montre la révolution du chemin de fer, alors que Au bonheur des dames révèle la mise en place des techniques capitalistes de vente et de promotion.
         C’est une incursion dans cette conception naturaliste de l'écriture que nous propose le groupement de textes suivant qui varie les genres en proposant un sonnet de François Coppée « La famille du menuisier » du recueil poétique Les Humbles, un extrait du roman d'Émile Zola, L’Assommoir, un extrait de la nouvelle de Guy de Maupassant Boule de suif et un extrait théâtral de la pièce Germinie Lacerteux d'Edmond de Goncourt. La forte cohérence thématique de ce groupement de textes qui s'inscrit en classe de Seconde dans le cadre de l'objet d'étude d'un mouvement littéraire et culturel du XIXème  ou du XXe siècle, en l'occurrence le Naturalisme apparaît dans la mise en scène de personnages comme échantillons ou représentants de types sociaux. La problématique d'étude qui permet de fédérer ce groupement consiste à s'interroger sur les différents moyens littéraires, à la disposition du poète, du romancier, du dramaturge, qui permettent la caractérisation sociale et axiologique du personnage par le jeu de mises en situation des personnages et des mises en discours.

 

 

Cette séquence d'étude peut se programmer dès le début de l'année de Seconde. En effet les élèves ont acquis au collège une connaissance suffisante de la spécificité des genres narratifs, poétiques et théâtraux. Ils peuvent repérer la différence entre répliquer didascalies dans le tableau de Germinie Lacerteux et identifier la variation de l'instance à laquelle on fait assumer le discours énoncé. Ils savent différencier le narrateur des personnages dans le genre narratif.  Ils ont étudié les différents points de vue possibles du narrateur ainsi que les différentes façons de rapporter les paroles d'un personnage dans un récit. Ils savent être attentifs aux indications spatio-temporelles pour voir comment elles structurent le texte au fil des paragraphes. Ils ont déjà étudié la caractérisation du personnage par sa description physique ou son portrait en action enfin dans le cadre de l'étude du genre poétique, ils connaissent la forme fixe du sonnet et ont été souvent déjà sensibilisé à la confrontation de la syntaxe et du vers pour observer comment la phrase se coule dans le moule du verre ou le déborde.
               À partir de ces compétences, le professeur se fixe comme nouveaux objectif d'apprendre aux élèves à discerner l'entremêlement des voix des personnages, du narrateur et même de l'auteur par le jeu sur les différentes façons de rapporter la parole et notamment le recours au style indirect libre ; par le choix axiologique du vocabulaire notamment descriptif et enfin par le choix de situations et de mises en abyme ironiques. En outre dans la mesure où le mouvement naturaliste se revendique ancré dans les réalités historiques et sociales, où la fiction et l'illusion réaliste se fondent, des connaissances culturelles historiques sont indispensables pouvoir profiter des intentions de connivence de l'auteur. Par ailleurs des objectifs méthodologiques sont retenus en ce début d'année :l’ initiation commentaire composée et à la dissertation.
                    L'ordre d'étude des textes suit une complexification de l'usage du discours du théâtre vers le narratif et les connaissances construites à partir de ces deux genres de textes pourront ensuite être transférées par les élèves dans le cadre d'une évaluation portant sur le sonnet. Ainsi la première séance de deux heures se compose de l'étude analytique du troisième tableau de Germinie Lacerteux qui permet de relever et d'analyser les caractéristiques langagières des personnages et notamment du petit voyou. A partir de la compréhension de cette conception du langage comme sociolecte, les élèves sont invités en deuxième heure à un travail de réécriture et d'invention en changeant le profil social du personnage.
                    La deuxième séance est consacrée à l'étude analytique de l'extrait de Boule de suif qui se situe au début de la nouvelle et qui introduit et présente les personnages dans un dispositif de huis clos qui n'est pas sans évoquer les références expérimentales de Zola, où la voiture devient comme un laboratoire. La très forte structuration du texte en paragraphes permet de repérer les procédés d'emboîtement puis ceux d'articulation des deux portraits tantôt en action tantôt pictural. Les procédés de parole rapportée y sont plus facilement repérables.
                  En effet la troisième séance qui  s'intéresse à l'extrait romanesque de L’Assommoir  de Zola confronte les élèves à une complexification des paroles rapportées avec la présence du discours indirect libre difficile à repérer. A celui-ci se rajoutent des pensées narrativisées et des commentaires du narrateur. L'étude analytique en deux heures de ce texte permettra en outre d'élucider des références culturelles qui par leur insertion créée un effet de mise en abyme programmatique du roman.
                La quatrième séance évalue à partir de l'élaboration d'un plan de commentaire composé du sonnet « La Famille du Menuisier » de François Coppée la capacité des élèves à percevoir la dimension axiologique de  la mise en scène de ce tableau familial et son ironie paradoxale.
               Enfin la cinquième et dernière séance est la correction d'un exercice d'entraînement à la dissertation qui permet d'inviter les élèves à relire le corpus et à confronter les différents textes pour se demander selon les genres, à quelles techniques littéraires ils ont été le plus sensibles dans le travail de caractérisation axiologique des personnages par les auteurs.
              En outre cette séquence est propice à des prolongements notamment picturaux.
               

 

La première séance commence par l'étude analytique de l'extrait théâtral d'Edmond de Goncourt, Germinie Lacerteux . Le professeur attire l'attention sur ce qui peut sembler inhabituel dans les didascalies. Entendues au sens large comme l'ensemble du texte non proféré par les comédiens, elles révèlent aussi bien la dénomination des personnages que la formulation des indications scéniques, manifestent une orientation axiologique de la caractérisation alors que ce type d'information se présente en général sous une forme objective. En effet sur les quatre personnages, seuls deux ont un prénom, les deux autres sont désignés par des expressions dépréciatives, « petit voyou » impliquant la malhonnêteté, la duplicité, l'illégalité et « gamine » évoquant la jeunesse, l'inexpérience voire l'insolence. Au niveau des indications scéniques, hormis l'adjectif « grossières » épithète de « copies », les autres indications familières ou dépréciatives sont associées à la description du voyou: »tignasse », « impudents », « loque ». Les didascalies semblent donc paradoxalement mimétiques et annonciatrices d’un procédé décuplé dans les répliques : la conception des paroles des personnages comme un sociolecte ou comment se dire en disant. On invite les élèves à repérer et à nommer les incorrections lexicales et syntaxiques. La première réplique de Glaé utilise deux compléments d’objet direct, le deuxième étant abstrait et non adéquat pour complémenter un verbe concret : « Qu’est ce qui t’a griffé  comme ça la physionomie  ? » . Mélie à son tour redouble incorrectement deux  mots subordonnants « Et pourquoi qu'on a arrêté ta  soeur ? ». Mais ce sont surtout les répliques du petit voyou qui dominent dans l'extrait et accumulent les erreurs.  Les élèves relèvent les nombreuses aposiopèses qui s'associent à des phrases inachevées ou  incorrectement enchaînées : »il m’en faudra cinq à chaque bras… que je me fourre dedans ». A trois reprises, le personnage accumule de façon fautive deux compléments d’objet direct : « Eux autres, ils nous empêchent » alors que l’on attend en vain un complément d’objet indirect. On relève des erreurs dans le choix du bon auxiliaire : « j’ai été », « je m’ai sauvé », « j’avais du mal dans la tête ». Outre l’aposiopèse, l’apocope est une autre façon d’escamoter la langue. Enfin les déformations concernent également le choix du lexique qui semble relever de l’argot des malfrats et dont l’élucidation est assurée dans le texte par un système de reformulation synonymique systématique :  « c'est de  la rousse ?… Un sergent de ville » « nos croquenots » (il montre ses souliers), « la tour pointue… Eh bien oui, à la préfecture. »
                   Ce travail d'élucidation a permis de préparer l'exercice de réécriture dans lequel on peut imaginer différentes formes de variations. La transformation en français standard courant permet de reformuler le texte en se contentant  de le corriger. C'est l'exercice le plus facile mais qui permet de montrer comment corriger le texte l’affadit et lui ôte sa saveur. Il est plus ludique et créatif de procéder ensuite à un exercice d'invention moins orthodoxe dans lequel l'élève peut réaliser un transfert contemporain et mettre en scène un voyou de cité, il est aussi possible dans un exercice plus difficile et érudit de faire une transposition en choisissant un proxénète raffiné et esthète. Commencer par l'étude de l'extrait théâtral a permis une approche plus aisée car directe aux purs propos de des personnages clairement définis par leur langage argotique est incorrecte comme des êtres en marge de la société. Le changement de genre et le passage à la nouvelle montre qu'au contraire l'introduction du personnage se fait plus volontiers par la description.

 

La deuxième séance procède à l'étude analytique de l'extrait de Boule de suif on attire l'attention sur  le fait que l'extrait choisi qui se trouve au début de la nouvelle permet d'introduire les personnages notamment l'héroïne éponyme dont la désignation énigmatiqueau niveau du titre de l'oeuvre est justement élucidée dans le passage choisi. Malgré le nombre des personnages, il est frappant de constater que la place laissée au discours de ces derniers est extrêmement réduite. Sans doute laisse-t-telle ainsi d'autant plus se libérer celle du narrateur qui oriente fortement la caractérisation des personnages. On commence par l'étude de la description de l'héroïne il s'agit d'un portrait descriptif de son apparence qui se veut fondamentalement élogieux donc avec un registre épidictique positif. Les termes mélioratifs s'accumulent : « magnifique, charmante » et ce que les métaphores et comparaisons alimentaires pourraient avoir de dévalorisant est tempéré par le fait que l'héroïne incarne le parangon de sa catégorie de « galante » qui en fait l'objet du désir le plus abouti : le texte conduit inévitablement le lecteur à conclure qu'elle est à croquer.
          Le portrait de Cornudet et plus subtil à élucider par les élèves car il repose en apparence sur une objective narration des faits passés accompagnés de nombreux adjectifs mélioratifs. On élucide les références historiques à la chute du second Empire après la défaite de Sedan en 1870 qui a entraîné la promulgation de la IIIe République.  L'utilité du personnage est ainsi sans doute liée à la permanence de l'occupation allemande qui n'a pas encore été évacuée. Le comique du personnage vient du décalage ironique entre le commentaire valorisant du narrateur et la compréhension de la réalité des actes du personnage dont la vivacité du repli est proportionnelle à l'intensité de sa couardise.
          Après l'étude et la confrontation des deux techniques opposées de portraits, l'étude de la structure du texte et de ses procédés d'emboîtement et d'alternance décuple la force de la peinture et de la satire de cet échantillon d’humanité. On a fait au préalable dégager la structure de l'extrait à partir du découpage en paragraphes. Les élèves perçoivent que le portrait de Boule de suif en fait l'incarnation de la santé par rapport à la maladie des « bonnes soeurs ». Après les trois séries de portraits un autre système de contrepoint fait alterner un commentaire assimilable au narrateur : « elle était de plus, disait-on, pleine de qualités inappréciables », et les propos parcellaires des personnages sous forme de « chuchotements ». C'est l'enchaînement de ces deux paragraphes qui confirme qu'effectivement les qualités de Boule de suif ne sont pas appréciées. C'est l'ironie de cette antithèse créée par la juxtaposition qui fait la saveur du passage et montre comment l'ironie se crée dans le texte par le décalage du discours à des niveaux différents tantôt entre l'énoncé et le fait, tantôt entre les voix divergentes des personnages et du narrateur. L'encadrement du passage par les commentaires généralisant du narrateur extradiégétique tire l'anecdote vers l'exemplarificationde la généralisation finale et donne à comprendre paradoxalement que la construction du passage de même que la disposition des personnages ne relève pas « d'un hasard étrange » mais révèle en abîme le jeu de l'auteur qui agence ses  paragraphes pour ménager ses effets et manipuler son lecteur. Le texte d’Emile Zola reprend et exacerbe ces procédés.

 

La troisième séance procède à l'étude analytique de l'extrait issu du roman d'Émile Zola : L’Assommoir . Le repérage des indications spatio-temporelles révèle la circulation dans les différentes pièces du musée du Louvre du cortège d'une noce. La difficulté du passage consiste dans la présence du style indirect libre qui a pour effet de fondre la parole des personnages au coeur de la narration ce qui la rend difficilement repérable aux élèves. A partir de ce travail de délimitation, les élèves comprennent le décalage entre la façon dont on pourrait attendre qu'une personne sensible à l’art réagisse dans un musée et celle par laquelle les invités de la noce se comportent. Ainsi ce qui aurait pu apparaître comme une telle initiative, la visite au musée, se transforme en satire dans le registre épidictique du blâme d'une population incapable d'apprécier l'art. On fait relever l'évolution de l'attitude du guide , M. Madinier qui renonce progressivement à ses efforts d'initiation, pour encourager la dérive mimétique d’ identification de Mme Lorilleux avant d'exciter les pulsions les plus animales du groupe désormais assimilé par la métaphore à « un troupeau débandé ».
             Le processus de dégradation est renforcé par la construction en abyme, M. Madinier propose aux noceurs de se voir en miroir dans le tableau d'une fête La Kermesse de  Rubens. Le procédé de mise en abyme est redéployé au niveau macrostructural par le choix du tableau des Noces de Cana qui annonce à  Gervaise de façon inversée son propre devenir. Cette illustration parabolique d'un épisode de l'Évangile a révélé comment le meilleur des vins est arrivé à la fin de la noce par le miracle du Christ qui a métamorphosé de l’eau. Au contraire le destin de Gervaise à se dégrader par l'abandon dans l'alcoolisme qui va détruire toutes les promesses du début du roman. Émile Zola donne à  lire une oeuvre à déchiffrer  à plusieurs niveaux. On souhaite au lecteur  une plus grande habilité à déchiffrer les oeuvres que  Gervaise.

 

Rassemblant l'expérience accumulée lors des trois premières études analytiques, l'élève peut élaborer un plan de commentaire composé du sonnet « La Famille du Menuisier ». Dans une première partie, il regroupe les remarques sur la création d'une scène de genre ou chaque strophe est consacrée à un membre de la famille présenté de façon universalisante sans adjectif et avec un article défini. Le présent de narration a valeur durative aussi bien qu’itérative. La deuxième partie s'intéresse à la dimension axiologique du poème qui présente la réjouissance d'une famille grâce à sa prospérité. Le débordement du rejet au début du premier tercet mime l'augmentation de la richesse. L’étude de l’orientation axiologique du lexique montre à un premier niveau la dimension valorisante et euphorique de cette richesse. La troisième partie incite à un recul métatextuel,  la métaphore de « l’or d'un soir d'été » qui est poétique et presque figée et  lexicalisée par sa fréquence et qui met en opposition par syllepse la double dimension esthétique et mercantile du mot « or » invite au décalage et à la distanciation. Le tableau que nous offre le poète se révèle en définitive beaucoup moins euphorique que celui de « ce groupe joyeux ».

 

La cinquième séquence est la correction d'un devoir de dissertation qui a pour objectif de conduire les élèves à relire et à confronter le corpus. Pour composer leur devoir ils réutilisent les analyses effectuées en classe pour répondre à la question suivante : « A quelle technique littéraire avez-vous été le plus sensible à l'égard du travail de l'écrivain dans sa démarche de caractérisation sociale et axiologique du personnage ? » L’élève peut ainsi préférer tantôt le mimétisme du discours direct, tantôt les descriptions statique ou en action, tantôt les procédés d'entrelacement des discours des personnages et du narrateur, tantôt les effets de structure, d'emboîtements et de contrepoint ironique.

 

L'étude de ce groupement de textes a permis de construire avec les élèves la notion de mouvement littéraire avec  l’illustration ciblée du Naturalisme. Ainsi ils comprennent que différents auteurs se rejoignent dans une même conception esthétique de la littérature qui vise ici à la mise en scène d'une vision sociétale ou chaque humain se caractérise par son appartenance à une classe sociale. Cette notion de mouvement littéraire appelle à être étendu à celle de mouvement culturel, et le professeur proposera en prolongement la confrontation de plusieurs oeuvres picturales se revendiquant également du Naturalisme comme celles de Gustave Courbet, notamment Les Glaneuses pour montrer le choix de la mise en scène du quotidien et de la pauvreté. Enfin cette séquence est un précieux prolégomène pour étudier l'objet d'étude suivant « Le travail de l'écriture » : le professeur profitera de ce premier contact avec Émile Zola pour proposer L'Oeuvre en étude intégrale. La confrontation avec la préface, les brouillons et les carnets d'enquête permettra de montrer la jeunesse de l'oeuvre littéraire et de réfléchir à l'élaboration du style.

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