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De la polysémie

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Cette année, avec l’étude de Capitale de la Douleur, la polysémie sera à la fois une ennemie inquiétante, nous faisant toujours douter  que nous sommes bien dans la « bonne » interprétation, mais aussi une alliée précieuse.

 

Les commentaires faits sur les deux premières explications (« Max Ernst «  et « Dans la brume… ») en témoignent.

 

Bénédicte Freysselinard  voit ainsi dans le poème de la page 125 une inquiétude spirituelle très marquée et son point de vue est très bien argumenté – j’aime en particulier sa remarque sur « l’inquiétude a déserté ». Cette interprétation est validée en outre par les propos de Nicole Boulestreau dans La poésie de Paul Eluard qui voit apparaître-  surtout dans la partie « Mourir de ne pas mourir » - une expérience mystique matérialisée par de nouvelles pratiques d’écriture, Eluard ferait une « reprise méditée des textes sacrés » (je cite approximativement, n’ayant pu que consulter ce livre en bibliothèque) Notre auteur semble avoir beaucoup lu la littérature mystique du 17ème, en particulier JB Chassignet et cette piste de la paraphrase biblique est donc à suivre et à connaître.

 

J’y ai, pour ma part,  été peu sensible pour le poème de la page 125, mais je pensais bien la voir dans « Silence de l’Evangile » jusqu’à ce que je lise sous la plume d’Anne Régent l’amorce d’une autre explication de ce texte , explication selon laquelle le « nous » du poème évoquerait le groupe surréaliste embarqué dans une « action conquérante ».

 

Bref, rien n’est figé, rien n’est fixé.

 

Mais continuons encore…

 

Les poèmes qui portent pour titre le nom d’un peintre sont eux aussi ouverts à différentes lectures : hommage au travail du peintre, art poétique d’Eluard lui-même qui voit entre son œuvre et celles de certains peintres une correspondance, poèmes avant tout adressés à Gala et évoquant encore la crise conjugale. Et ces titres évoquant un peintre signifient-ils qu’Eluard va parler A ou bien De cet artiste ?

 

 Il est aussi tentant de chercher le tableau dans le poème. Aurélie nous fait observer que certains éléments du poème rappellent une œuvre achetée par Eluard à Ernst, « L’éléphant de Célèbes ».  C’est intéressant… et à connaître.  Comment l’exploiter ? Ces détails du tableau dans le poème seraient comme l’intrusion de l’ami-amant dans le couple, la preuve de l’envahissement de la psyché du poète par les relations de Gala et Ernst.

 

Penchons-nous aussi  sur les analyses de J.C Gateau qui analyse par exemple les deux strophes de « Paul Klee » comme une évocation des  « deux manières différentes » du peintre. (« Poésie, peinture et musique à travers trois poèmes de « Capitale de la douleur » de Paul Eluard », Philippe Terrier, L’Ecole des Lettres II, n°3, 1992-1993)

 

Une perspective uniquement descriptive  est bien entendu extrêmement risquée pour l’épreuve d’explication de texte… On n’explique pas tout un poème en fonction d’un tableau absent, en outre une telle problématique ne ferait pas honneur au poème, réduit à une simple décalque d’une œuvre plastique. Mais si j’en parle, c’est qu’on ne sait jamais ce qu’on va avoir à argumenter, que ce soit dans la dissertation où dans une leçon sur, par exemple « Poésie et peinture » ou « Les peintres » ou « Regarder », ou encore à l’oral pendant l’entretien. En un mot, même ce qui ne nous convainc pas à 100%, on le garde en mémoire, cela peut servir.

 

Que choisir alors comme problématique ?

 

Eh bien, d’abord il faut choisir… et renoncer. On ne pourra pas à la fois montrer que le poème est un jeu surréaliste, une paraphrase biblique ou une évocation lyrique des relations avec Gala. Evitons l’effet « gâteau cent fois bon » (pour ceux qui connaissent cette œuvre immortelle…)

 

Le poème est aussi un monde en soi et certains peuvent/doivent être expliqués sans que l’on réfère forcément aux circonstances de la vie d’Eluard en 1926. En revanche, il faut s’arranger pour montrer qu’on n’ignore rien des données autobiographiques et intertextuelles si, pendant l’entretien, on nous pousse dans cette direction.

 

Mais je pense pouvoir dire qu’en cas de panique, en cas de « pas mieux », une problématique reprenant l’idée de la double crise amour/langage (à reformuler plus finement…) peut nous sauver du pire pour de nombreux poèmes.